Carbonata (Italie, XVème siècle)

Publié le 7 novembre 2024 à 12:56

Difficulté : Facile

Préparation : Rapide

Quantités : Pour 2 personnes en plat avec du pain ou jusqu'à 6 en entrée ou apéritif 


Non, rien à voir avec une carbonara. Enfin presque rien. Mais oui, c'est bel et bien une recette italienne.


La carbonata, ou charbonnée en français, est une vieux mot qui désignait une viande grillée
, en général avec des braises. Est-ce qu'à l'origine le terme désignait une viande posée sur un grill comme nos actuels barbecues ? Aucune idée. Toujours est-il que pour le Maestro Martino, au XVème siècle, cette viande est saisie dans une poêle, ou "padella" en italien ancien et moderne.

Aujourd'hui, le terme de "carbonata" ne désigne à ma connaissance plus grand chose en italien. Vous tomberez seulement sur des suggestions de Google qui vous propose des pâtes italiennes en vous corrigeant au passage ou éventuellement sur des bouteilles d'eau gazeuses ("agua carbonatada" en italien). Même chose avec le terme français, tout aussi passé de mode que son équivalent italien, et qui fait référence désormais à certains plats de viande braisée du Val de Loire, à une appellation de côte de bœuf ou à l'adjectif désignant ce qui est recouvert du noir laissé par le charbon de bois. D'ailleur, l'association avec le charbon est ce qui rapproche "carbonata" de "carbonara", mais on en reparlera.

Pourtant, pour une partie de l'Europe du Bas Moyen-Age et de la Renaissance, la charbonnée est cette action de saisir une viande, généralement déjà conservée dans le sel, à proximité d'un feu, et donc de charbon de bois.


Et c'est à cette époque, au XVème siècle, que Maestro Martino révolutionne la cuisine médiévale.
Par de nouvelles approches et méthodes, il s'éloigne de la cuisine ancestrale européenne et utilise pleinement les nouveaux produits disponibles, met au goût du jour certaines méthodes de cuisson et remet en valeur le goût premier de l'aliment en limitant l'utilisation des épices pour la cuisine aristocrate. Il rassemble ses idées et ses recettes dans un ouvrage qu'il appelle le Libro de Arte Coquinaria, le "livre de l'Art Culinaire".


Bon, la limitation d'épices n'a pas l'air vraiment mise en valeur par cette recette, et pourtant. Si le maestro s'éloigne indéniablement des anciennes méthodes, il utilise cependant toujours une bonne quantité d'épices pour nos palais européens modernes.
 Pourtant donc, il n'y que la cannelle et le sucre comme épices dans cette recette (oui le sucre est une épice à l'époque). Une version plus ancienne aurait certainement utilisé de la "poudre douce", un mélange d'épices, qui contient du sucre et de la canelle, qui varie dans sa composition et qu'on utilise dans différents plats pour accompagner parfois d'autres épices. On peut rapprocher cela du garam massala indien ou du ras-el-hanout maghrébin.
On peut voir Martino comme un initiateur d'une autre façon de cuisiner qui ne cessera de se développer jusqu'aux débuts de la mondialisation puis le retour actuel aux épices. C'est ce qui rend en tout cas les recettes de Martino plus accessible aujourd'hui pour s'initier à la cuisine médiévale aristocratique. Oui, je précise depuis tout à l'heure, pour garder à l'esprit que ces épices sont réservés à ceux qui ont de quoi se les payer, et que la cuisine paysanne devait déjà très probablement, sans qu'on en ait de source écrite, "mettre en valeur le goût premier de l'aliment".


Les autres changements de cette recette, c'est la méthode de cuisson et l'utilisation d'un ingrédient potentiellement exotique. Faire juste "frire", c'est à dire ici faire saisir à la poêle les aliments, ce n'est vraiment pas très répandu pendant toute la durée du Moyen-Age voir de l'Antiquité. On utilise bien plus souvent le braisage, la soupe, le ragoût, la cuisson au four et plus exceptionnellement la cuisson à la broche. 

Mais pour l'ingrédient exotique en question, jetons d'abord un œil à la recette originale du livre de Maestro Martino :

Per fare carbonata
Togli la carne salata che [sia] vergellata di grasso et magro inseme, et tagliala in fette, et ponile accocere ne la padella et non le lassare troppo cocere. Dapoi mittele in un piattello et gettavi sopra un pocho di zuccharo, un pocha di cannella, et un pocho di petrosello tagliato menuto. Et similemente poi fare de summata o presutto, giongendoli in scambio d'aceto del sucho d'aranci, o limoni, quel che più ti piacesse, et farratte meglio bevere.

Traduction approximative modifiée à partir de Google trad : Prenez un morceau de lard salé avec du gras et du maigre, coupez-le en tranches et placez-les dans la poêle pour les faire cuire, sans les laisser cuire trop longtemps. Ensuite, mettez-les dans un plat et soupoudrer d'un peu de sucre, d'un peu de cannelle et d'un peu de persil haché. Vous pouvez le préparer de la même manière que la summata (un type de charcuterie italien qui n'existe plus) ou le presutto (un morceau de jambon séché), en ajoutant à la place du vinaigre du jus d'oranges ou de citrons, comme vous voulez, et cela le rendra plus goûteux.

 

On a donc une orange qui peut servir à remplacer du citron ou du vinaigre. Avant le XVème siècle, les seules oranges disponibles sont les bigarades, qui sont particulièrement amère. On en reparlera un peu plus une autre fois. Les portugais ramènent l'orange douce à l'époque de la recette, et on peut supposer qu'avant les sélections pour la rendre très sucrée, les premières versions étaient plutôt acides. On peut donc imaginer que l'orange décrite par Maestro Martinone est cette tout nouvelle orange douce, un peu acide, tout juste ramenée d'Asie par voyage et donc particulièrement exotique. Comme l'auteur du livre cuisine pour les plus grands d'Italie, la supposition n'est pas si folle. On peut donc considérer l'orange comme un ingrédient tout à fait insolite et exotique pour l'époque, ce qui expliquerait aussi peut être la mention écrite d'une recette si simpliste dans un tel ouvrage. Sinon, peut être désignait il une autre variété d'agrume inconnue et déjà présente mais la chose reste tout a fait une exception dans ce cas. 

En tout cas, ce genre de recettes simples, surprenantes et délicieuses est ce que j'apprécie le plus dans les recettes de l'Histoire. Une association complètement loufoque pour nous comme la viande, la canelle, le sucre mais surtout le jus d'orange c'est assez inattendu et pourtant ça fonctionne admirablement bien ensemble. Si vous avez des variétés d'oranges particulièrement acides, alors elles seront parfaites pour cette recette. Sinon, si vous n'avez que des oranges très sucrées, essayez quand même, ça restera délicieux.


Ingrédients

  • 250 g de lard paysan ou pancetta (ou n'importe quel autre lard salé avec du gras et du maigre).
  • Une poignée de persil
  • 20 g de sucre de canne non raffiné (jaggery indien, pain de sucre brun à l'ancienne, vergeoise brune ou au pire de la cassonade)
  • 1 càc de canelle en poudre
  • 20 ml de jus d'orange, acide si possible (ou, à défaut, de citron mais c'est moins intéressant)

Réalisation

  1. Découper (ou faites découper) la poitrine ou la pancetta en tranches d'environ 5mm d'épaisseur.

  2. Faites chauffer une grande poêle ou mieux une plancha sans matière grasse et y placer les tranches de viande. Essayer de faire de l'espace aux tranches et de ne pas surcharger la surface de cuisson.

  3. Pendant ce temps, gratter le bloc de sucre si besoin ou préparer le sucre en poudre puis le mélanger à la cannelle. 

  4. Retourner la viande si la réaction de Maillard a été suffisante. Récupérer régulièrement le surplus de graisse (pour aromatiser d'autres cuissons). Cisailler le persil assez finement.

  5. Quand la viande est bien caramélisée, retirer du feu et servir dans un plat (la planche c'est joli mais j'ai abîmé ma moquette...) en soupoudrant du sucre à la cannelle, du persil et du jus d'orange. Servir et manger immédiatement, éventuellement sur une tranche de bon pain de campagne. 

Buon Appetito !

Et oui, la recette est d'origine italienne après tout.


Source : La recette du chouette site de Recettes Médiévales. Je ne conseillerai pas certaines recettes du sites, qui a mon avis manquent un peu de précision, mais certaines comme celle-ci sont de véritables pépites et ils font un super travail.

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