Difficulté : intermédiaire
Quantité : Pour 6 à 8 personnes
Bon, je vous préviens d'entrée de jeu ; c'est pas mal de travail pour un résultat pas incroyable au vu de nos goûts contemporains. Un peu l'opposé du poulet à la Parthe.
Et oui, c'est bien le même terme qui désigne ce gâteau et la poche intra utérine expulsée à l'accouchement. Est-ce parce qu'un étrange individu aux goûts douteux voulait nommer son gâteau en référence à cette chose visqueuse et sanguinolente ? En fait, c'est l'inverse.
Le mot "placenta" (que vous pouvez prononcer "plakenta") est en fait avant tout très probablement le nom de ce gâteau très précis de la Rome Antique du IIème siècle. Le mot vient lui même du grec "plakountos" (πλακοῦντος) qui signifie galette ou gâteau plat.
Le placenta est un des nombreux gâteaux au fromage de l'Empire Romain dont les formes sont très variées. Beaucoup si ce n'est toutes sont citées et détaillées par Cato l'Ancien dans son ouvrage De Agri Cultura, ouvrage dont vient cette recette. Ils sont tous faits à partir de liga, une mixture de céréales complètes détrempées et écrasées au mortier, et de fromage frais. On trouve ainsi le libum, un gâteau au fromage frais très simple qui servait souvent d'offrande aux dieux, le savillum, une version sucrée plus aplatie qui ressemble un peu plus à notre cheesecake actuel, ou encore les globi, de petites boules frites dans du lard ou de l'huile. Le placenta, lui, est la forme la plus complexe de toutes et celui qu'on offrait lors de certaines célébrations. Il se retrouve cependant également notifié lors de repas d'importance.
Il vaut mieux cependant ne pas s'attendre à quelque chose d'aussi lisse et sucré qu'un cheesecake moderne. Les textures sont plus complexes et beaucoup moins legères et duveteuses, le sucre n'est apporté que par le miel et contrebalancé par le sel du fromage et le goût de céréales complètes peu en rebuter certains. Mais si vous préferez le pain complet au pain blanc et que le sucré salé ne vous fait pas peur, alors l'expérience peut clairement valoir le coup. Encore que, peut être faudrait-il essayer une des versions plus simple de ce mélange de liga et de fromage.
En tout cas, cette manière de superposer des couches de pâtes et un mélange sirupeux semble avoir été décliné en de nombreuses recettes. On soupçonne en effet le baklava d'être inspiré de cette manière de faire, tout comme le tiropita grec ou le börek turque. Une version de börek en spirale, avec d'autres noms dans différents pays, est d'ailleurs probablement issu du spira, une autre version du placenta. Plus largement, on peut supposer que la manière moderne de monter les gâteaux, avec des couches alternées de biscuit et de crème comme pour le medovik russe, est issu de cette manière de procéder. En effet, les habitants de l'Empire Romain d'Orient semblent avoir continué à cuisiner certains plats comme leurs ancêtres occidentaux et les manières de faire se sont probablement répandues chez leur voisins, notamment en Russie. Les pays baltes ont encore parfois des plats dont le nom est ou se rapproche de placenta, même si la manière de faire le plat s'est considérablement éloigné de la recette de base.
Mais alors, quel rapport avec le placenta de l'accouchement ? Je n'ai pas la réponse, mais on peut supposer que les physiciens de l'Antiquité (l'équivalent des médecins) trouvaient une certaines ressemblance entre les deux. De là à dire qu'au final, un étrange individu aux goûts douteux ait nommé la poche intra-utérine comme le gâteau parce qu'il avait un petit creux après l'accouchement, il n'y a qu'un pas.
Et pour reparler de la prononciation du mot certains le prononceraient "plassen'ta", d'autres "platchen'ta" et d'autres encore, comme évoqué plus haut, "plaken'ta". En règle générale, si quelqu'un vous dit qu'un mot latin se prononce d'une certaine manière et pas d'une autre, d'autant plus en ce qui concerne les v et le i, vous pouvez l'envoyer se faire voir. Le latin s'est étendu sur un territoire immense avec l'expansion de la République Romaine puis de l'Empire, et il a subi au minimum 1000 ans d'évolution. Quand on voit à quel point le français s'est transformé en quelques siècles sur une zone restreinte, il serait bien naif de penser qu'il n'y avait qu'une seule bonne manière de prononcer le latin, d'autant plus en l'absence de preuves d'une quelconque prononciation.
En tout cas, l'important, c'est de le prononcer d'une manière qui vous fera penser le moins possible possible à la poche sanguinolente expulsée lors de l'accouchement. Enfin, je dis ça, mais si vous ressemblez à celui ou celle à l'origine du nom, ça pourrait vous donner faim. Chacun ses goûts hein, je ne juge pas...
Ingrédients
Pour les tracta (galettes) :
- 120 g de grains d'épeautre
- 240 g de farine de froment
- 180 ml d'eau
- 1 càs d'huile d'olive
Pour la pâte :
- 120 g de farine de froment
- 60 ml d'eau
Pour la préparation :
- 800 g de feta, pas forcément AOP (il peut y avoir du lait de vache présent, ou ça peut être du beyaz peynir si vous avec une épicerie turque dans le coin)
- 260 g de miel (de romarin si possible, sinon neutre)
- Un bouquet de laurier frais (assez pour recouvrir le fond de la cocotte)
- De l'huile d'olive
- Environ 100 g de miel supplémentaire
Réalisation
- Pour les tracta (galettes): Dans un mortier et avec un pilon, grossièrement réduire l'épeautre en petits morceaux. Si vous avez un bon robot et pas peur de l'abimer, ça fonctionne aussi mais attention à ne pas faire trop fin. Recouvrir d'eau et laisser reposer toute une nuit.
- Le lendemain, égoutter le gruau détrempé (garder l'eau) et le mélanger à la farine de froment et à l'huile d'olive puis mesurer le 180ml d'eau en y incluant l'eau de trempage. Rajouter petit à petit l'eau à la pâte pour former quelque chose d'homogène mais pas trop humide (quite à ne pas utiliser toute l'eau).
- Une fois la pâte relativement homogène, la pétrir pendant une dizaine de minutes pour la lisser. La diviser en 6 à 8 pâtons à étaler en cercle de la finesse d'une tortilla et, quoi qu'il arrive, d'un diamètre un peu plus petit que la cocotte à utiliser.
- Les étaler sur des surfaces non collantes (papier cuisson ou farine, voir les deux) et les laisser sécher pendant la nuit si il fait chaud et sec, sinon au four à 40 degrés pendant une ou deux heures ou jusqu'à ce que les galettes ne soit plus du tout humides au toucher.
- Pour la pâte : Mélanger la farine à l'eau en l'ajoutant de nouveau petit à petit, jusqu'à ce que ça forme une pâte homogène mais non collante.
- Etaler la pâte le plus finement possible, en essayant de ne pas dépasser 1,5 à 2 mm d'épaisseur en faisant un cercle assez grand pour recouvrir plus de deux fois l'ensemble des galettes empilées. Penser à bien fariner le plan de travail pour éviter tout problème une fois au montage.
- Pour la préparation : Emietter le fromage dans un grand saladier et le recouvrir d'eau. Vider l'eau et recommencer deux fois. Au troisième rinçage, le mettre dans un tissu étamine et presser pour évacuer le maximum d'eau.
- Mélanger le fromage dessalé et lissé avec les 260g de miel.
- Assemblage : Préchauffer le four à 150 degrés.
- Mettre un fond d'huile d'olive dans la cocotte puis placer assez de feuilles de laurier pour recouvrir le fond. Les brosser avec plus d'huile d'olive.
- Brosser un tracta d'huile d'olive et le placer au centre du grand cercle de pâte. Le recouvrir de la préparation de fromage et de miel puis recommencer jusqu'à être à cours de tracta. Finir avec un tracta au sommet.
- Recouvrir le tout en repliant les rebord du grand cercle de pâte par dessus le dernier tracta. (Si comme moi, votre pâte se déchire de manière difficilement réparable ou que vous n'avez pas la place, diviser la pâte en deux morceaux et recouvrer la pile de tracta au fromage avec l'ensemble de la pâte.)
Mettre le couvercle de la cocotte et enfourner pendant 1h10. - Au bout du temps donné, sortir la cocotte, laisser tiédir puis récupérer le gâteau soit avec deux spatules, soit en faisant doucement basculer la cocotte sur une planche. Avec le laurier et l'huile, ça ne devrait pas avoir accroché. Recouvrir le tout du miel restant et présenter sur cette même planche pour servir.
Libenter ede
"Mangez avec plaisir" en latin
C'est joli présenté comme ça, et pourtant c'est râté. La pâte est sensée se replier sur le dessus, pas le recouvrir.
Source : Comme souvent, le génial site et la chaine Youtube Tasting History de Max Miller, avec quelques petites modification d'ingrédients et un conseil en cas de raté avec la pâte (comme ici).
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